L’heure du café
À 4h le matin, à l’heure du café, le vieux n’avait pour témoins que le cri émergeant des goélands, le soleil encore bas sur les lupins, les étourneaux faisant leur battue sur le terrain.
À cette heure précieuse, il avait l’esprit nu: le moment de liberté avant qu’il se glace, qu’il s’engourdisse. Il y a de ces choses dans la nature qui se passent à l’abri de ceux qui dorment. Son café ne contenait pas d’alcool, contrairement à la bière de 10h, du gin à l’eau de 14h ou du vin un peu vinaigré de 17h.
Avant que la petite vienne le trouver, avant que Rose ne se réveille, lui aussi pouvait parler des fleurs. Il contemplait aussi. L’aube était son seul moment de sérieux dépourvu de cynisme. Il ne se gardait que la pudeur de la tristesse. On en apercevait les traces sur les bouts de papiers parsemant la table de cuisine. Entre les carricatures qu’il faisait de sa femme, les chiens méchants mangeurs de tomates qu’il dessinait pour la petite, parfois, on trouvait un poème doux.
À quel moment avait-il pensé qu’il était honteux d’être un tendre? Peut-être lorsqu’il est devenu un homme. Il fallait protéger les petits. Pas lui, c’était fini, les autres! Il devait s’éduquer, devenir grand, ne compter sur personne. L’impermanence de la vie frappe un jour comme un oiseau dans une vitre. Jamais, jamais il n’allait abandonner ses petits! Il allait être fort jusqu’au bout, quoiqu’il en coûte. Il prenait la vie au sérieux dans un habit de dérision pour en rendre le goût moins amer, c’est comme le sirop d’oignon, ça marche!
D’où venait ce sentiment d’injustice qu’il repoussait du mieux possible à grosses gorgées? Le cynisme se glissant dans la fatigue en faisant les comptes, aucun politicien ne peut aider. Puis l’acidité du vin, poussée par une cuillère de confiture. Une chance, le matin, tout ce monde dormait.
L’heure du café achevait, il commençait à l’anticiper. La petite glissait ses pieds engourdis dans les trèfles humides pour le retrouver. Il resterait juste assez de douceur pour la laisser se coller sur lui pendant qu’elle avait le droit de lire les poèmes. Ensuite, Rose se réveillerait, Il aurait préparé le déjeuner et ils prendraient ensemble, le dernier café du jour.
(à Grand-Papa)
0 commentaire