Tout se joue dans l'enfance

extrait d'entrevue avec Sidonie, la chatte.

Si vous saviez comment tout a commencé… Vous me direz sans doute que la vie est remplie d’adversité en commençant par son premier souffle sortant de la mère, ça, je ne m’en rappelle pas. 

Cependant, qu’est-ce qui me préparait, avant même d’apprendre à me nourrir par moi-même, à être jetée dans le monde sauvage? Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui ont commencé en se nourrissant de deux papillons de nuit par jour? 

Je vous jure, qu’un brin d’herbe n’est pas anodin lorsque la longueur de nos pattes se mesure en centimètres et quelques poils.  Les bibittes, les petites qui se logent dans les oreilles, celles qui piquent et surtout, les grosses effrayantes. 

D’ailleurs, la seule sagesse qu’on a dans l’ignorance est de toutes les craindre!

Si peu m’était familier sous ce toit perméable. L’herbe, la terre, quelques détritus oubliés, certes, j’étais née dans un endroit similaire. Pourtant, ici, la pluie y passait, il n’y avait pas de mère ni de frères ni de sœurs.  Je vous prie de vous mettre dans ma fourrure : j’étais vulnérable! 

Je n’avais pas écouté maman, j’avais joué trop loin, j’avais couru avec les papillons, et mon étourderie innocente m’avait poussée sur le pavé. 

C’est là,  qu’un énorme camion, oui, j’ai appris plus tard ce qu’était un camion. Donc, un énorme camion m’a fait fuir du mauvais côté de la route. 

J’étais à des lunes de chez moi, surtout en marchant dans la mauvaise direction. 

Des chardons s’agrippaient dans mon long poil me tirant la peau. Moi là, je n’avais pas encore appris à me lécher les culottes! J’étais hirsute et misérable! Je sais que c’est difficile à imaginer! Les souris étaient énormes! Quand je pense que je pourrais maintenant les balayer d’un coup de patte!  

J’étais arrivée là parce que j’entendais des voix. Comme si mon frère m’appelait. Je ne le voyais pas, mais je l’entendais. 

-Youhouuu… Petite mimine, je t’ai vue!!

– Allô? AllÔ? AAAAlllô? Hurlais-je de tous mes poumons.

– Viens ici,  viens P’tite mimine…!! Viens jouer avec moi dans la maison. 

Il était là, dans la fenêtre. C’était pas mon frère. Il devait être adolescent, il était vraiment grand, noir, avec des pattes blanches. Tous mes frères et sœurs étaient rayés. J’étais la seule euh… foncée et poilue. Même maman était rayée.

 Après cinq longues journées sous cette galerie, j’avais enfin de l’espoir de trouver de l’aide, mais, lui, il était enfermé. Fallait-il que je le libère alors que c’était moi la petite qui mourrait de faim!?

C’est alors que j’ai entendu les pas d’une grosse bête. Mon sang s’est glacé et j’ai senti mon poil se hérisser. Je pensais que c’était une vache ou un ours. Pourtant elle ne ressemblait à rien que je connaissais. Je vous laisse imaginer ma confusion lorsqu’elle s’adressa à moi se tenant sur deux pattes seulement : Un gros oiseau pas d’ailes. 

  • Oh, petite chose, t’es toute seule? 

Une prédatrice! Elle veut s’assurer que je suis, vulnérable prête à cueillir! Mais non, pensais-je. Je ne suis que poils et os, rien à manger!! Vas-t’en. 

J’équarquillais les yeux au plus grand pour lui faire peur. J’ai gonflé, je me suis faite sûrement aussi grosse qu’un ours…on  pour qu’elle recule. 

Je voulais feuler, grogner, mais ma gueule ouvrait, haletante, sans en laisser un son s’échapper. Une chance, elle a vu mes dents! Elle recula enfin. 

– Oh petite mimine, je suis le premier humain que tu rencontres, ça se voit. Je reviens avec de la nourriture.

Je croyais que c’était gagné, elle avait fuit. Je ne savais pas à ce moment que cette rencontre venait de me sauver la vie. 


Marianne Fourcaudot

Née à Québec, il y a plusieurs décennies, Marianne Fourcaudot a étudié en arts, lettres et cinéma. Si vous lui demandez pourquoi, elle vous dira très sérieusement que c’est le seul domaine qui pouvait lui permettre d’être tout à la fois : cowboy, pianiste de concert, tueur en série, criminologue, camionneuse ou ornithorynque… En 1999, elle est membre du Jury Émile-Cantillon au Festival du film francophone de Namur, en Belgique. En 2000, Marianne participe à un projet d’art éphémère à Mios, en France. Elle réalise trois courts métrages d’animation et s’implique dans plusieurs festivals à Québec où elle y est à la fois chauffeur et photographe. Elle s’installe à Milwaukee, au Wisconsin, pendant plusieurs années elle y expose et vend ses toiles qui tombent dans l’œil de la directrice artistique du ballet de Milwaukee. Elle initie, avec l’aide de son partenaire de l’époque, plusieurs jeunes et moins jeunes à la photo argentique. Artiste indisciplinée, comme elle aime bien le dire, passionnée d’encre et de plumes, les médiums et moyens d’expressions vont au gré des fantaisies du moment. Toujours avec poésie et surréalisme, elle crée par besoin et quand ça lui tente. Le reste du temps, elle essaie d’avoir une vie normale, mais, cette partie mériterait un autre chapitre. Elle nomme les libellules par leur nom latin, discute avec les animaux qu’elle rencontre. Elle est maintenant installée dans la belle et inspirante région de Charlevoix. Les animaux, la nature, les saisons, la condition humaine sont parmi ses inspirations majeures.

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