L’heure du café

À 4h le matin, à l’heure du café, le vieux n’avait pour témoins que le cri émergeant des goélands, le soleil encore bas sur les lupins, les étourneaux faisant leur battue sur le terrain. 

 

À cette heure précieuse, il avait l’esprit nu: le moment de liberté avant qu’il se glace, qu’il s’engourdisse. Il y a de ces choses dans la nature qui se passent à l’abri de ceux qui dorment. Son café ne contenait pas d’alcool, contrairement à la bière de 10h, du gin à l’eau de 14h ou du vin un peu vinaigré de 17h. 

 

Avant que la petite vienne le trouver, avant que Rose ne se réveille, lui aussi pouvait parler des fleurs. Il contemplait aussi. L’aube était son seul moment de sérieux dépourvu de cynisme. Il ne se gardait que la pudeur de la tristesse. On en apercevait les traces sur les bouts de papiers parsemant la table de cuisine. Entre les carricatures qu’il faisait de sa femme, les chiens méchants mangeurs de tomates qu’il dessinait pour la petite, parfois, on trouvait un poème doux. 

 

À quel moment avait-il pensé qu’il était honteux d’être un tendre? Peut-être lorsqu’il est devenu un homme. Il fallait protéger les petits. Pas lui, c’était fini, les autres! Il devait s’éduquer, devenir grand, ne compter sur personne. L’impermanence de la vie frappe un jour comme un oiseau dans une vitre. Jamais, jamais il n’allait abandonner ses petits! Il allait être fort jusqu’au bout, quoiqu’il en coûte. Il prenait la vie au sérieux dans un habit de dérision pour en rendre le goût moins amer, c’est comme le sirop d’oignon, ça marche! 

 

D’où venait ce sentiment d’injustice qu’il repoussait du mieux possible à grosses gorgées? Le cynisme se glissant dans la fatigue en faisant les comptes, aucun politicien ne peut aider. Puis l’acidité du vin, poussée par une cuillère de confiture. Une chance, le matin, tout ce monde dormait. 

 

L’heure du café achevait, il commençait à l’anticiper. La petite glissait ses pieds engourdis dans les trèfles humides pour le retrouver. Il resterait juste assez de douceur pour la laisser se coller sur lui pendant qu’elle avait le droit de lire les poèmes. Ensuite, Rose se réveillerait, Il aurait préparé le déjeuner et ils prendraient ensemble, le dernier café du jour.

(à Grand-Papa)

 

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Marianne Fourcaudot

Née à Québec, il y a plusieurs décennies, Marianne Fourcaudot a étudié en arts, lettres et cinéma. Si vous lui demandez pourquoi, elle vous dira très sérieusement que c’est le seul domaine qui pouvait lui permettre d’être tout à la fois : cowboy, pianiste de concert, tueur en série, criminologue, camionneuse ou ornithorynque… En 1999, elle est membre du Jury Émile-Cantillon au Festival du film francophone de Namur, en Belgique. En 2000, Marianne participe à un projet d’art éphémère à Mios, en France. Elle réalise trois courts métrages d’animation et s’implique dans plusieurs festivals à Québec où elle y est à la fois chauffeur et photographe. Elle s’installe à Milwaukee, au Wisconsin, pendant plusieurs années elle y expose et vend ses toiles qui tombent dans l’œil de la directrice artistique du ballet de Milwaukee. Elle initie, avec l’aide de son partenaire de l’époque, plusieurs jeunes et moins jeunes à la photo argentique. Artiste indisciplinée, comme elle aime bien le dire, passionnée d’encre et de plumes, les médiums et moyens d’expressions vont au gré des fantaisies du moment. Toujours avec poésie et surréalisme, elle crée par besoin et quand ça lui tente. Le reste du temps, elle essaie d’avoir une vie normale, mais, cette partie mériterait un autre chapitre. Elle nomme les libellules par leur nom latin, discute avec les animaux qu’elle rencontre. Elle est maintenant installée dans la belle et inspirante région de Charlevoix. Les animaux, la nature, les saisons, la condition humaine sont parmi ses inspirations majeures.

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